Martel en tête by Vers André

Martel en tête by Vers André

Auteur:Vers, André [Vers, André]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Prospero's books
Publié: 2013-03-09T23:00:00+00:00


Je revois les grands sombreros

Et les mantilles…

Marthe, la syncopée du matin, soufflait aux défaillances.

— C’était bien comme ça qu’il la disait, soupirait la veuve en écrasant une larme… Pauvre Pierrou !

— Lui qu’aimait à rire, il serait content d’être avec nous, dit Renard.

— Et puis du rhum comme çui-là, il en buvait pas lourd à la maison. On devrait s’en envoyer encore un p’tit coup tant qu’on peut, ajouta Jitomir… À bien y regarder, ça me fait pas trop mal que ce soit lui qu’ait hérité de mon trou. L’était pas mauvais bougre…

Pierre Combes était le sujet de toutes les conversations. Le Bricou se sentait gagné par l’euphorie générale. Il n’avait rien à redouter, ne courait pas le risque d’être placé sur la sellette, c’était à qui encenserait le mieux feu le Mareur. Peu à peu il se laissait aller, ses soucis s’envolaient. Un grand vide se faisait dans sa tête. Il éclusait son verre machinalement. Coudes sur la table, tête entre les mains, il était bien. Jitomir évoquait leurs jeunesses, au Mareur et à lui, puis il enchaîna sur la Françounette… leurs amours… le bois de Chabreyre… Le Bricou enregistrait des mots, des bribes de phrase, au hasard, sans comprendre. Ça n’enclenchait pas.

« … bruyère… le grand sapin, le vieux, celui qu’a la bourre blanche… clairières… pas le droit… »

Les bruits lui parvenaient assourdis comme le murmure de la forêt sous la caresse du vent. Il était envahi par une douce chaleur. Le soleil de juin était bon. Les vaches grimpaient allègrement vers le Limon où s’offraient les tendres herbages. Les sonnailles chantaient la remontée. L’eau limpide des ruisselets jouait à saute-roches, devenait blanche cascatelle auréolée d’un brouillard léger d’infinies gouttelettes ; quand elle se parait de l’arc-en-ciel – « la jarretière du bon Dieu » selon les dires des anciens – c’est que le ciel se glissant entre les branches était venu s’y désaltérer. Les sabots enfonçaient dans l’humus lourd de senteurs, riche de siècles et de siècles de feuilles mortes, vierge des souillures de l’homme et du progrès. Le Labri jappait et gambadait heureux d’agrandir les frontières de son domaine. Le pâtre entonnait « la Grondo ». L’écho de « la roche du suc de la croix » répétait et prolongeait inlassablement les « lou léroulérou ». Le Bricou puisait à plein coffre l’air parfumé de la forêt. Il conduisait son troupeau du pas lent et régulier des longues marches en montagne, au lieu-dit de « la Gentiane », buron aux épaisses murailles, forteresse défiant les intempéries. Il était fort, le Bricou, « comme un sapin » disait-il, en cognant sa poitrine, au pâtre plein d’admiration…

— … A qu’à finir la bouteille avant de partir !… on va tout de même pas en laisser…

Cette fois ça enclencha. Même que ça fit mal.

Les invités quittaient la salle le verbe haut. Jitomir remplissait deux verres. Renard n’était plus là.

— Où qu’il est passé, s’inquiéta le Bricou ?

— Fais pas l’âne, toi !… je vais finir par croire que t’es pinté, tu lui as dit au revoir y a près d’une demi-heure.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.